Qu’avons-nous appris de la crise COVID ?
Cela fait un certain temps que le droit public connait les questions diverses que posent les rapports entre la décision publique et l’expertise scientifique et technologique. Il les rencontre sous les auspices des interrogations sur l’information scientifique et technologique des parlements. Il les croise dans les débats sur les autorités administratives indépendantes. Il les aborde dans les subtils dosages qu’adopte le contrôle juridictionnel des décisions administratives lorsque celles-ci sont fondées sur des avis d’experts. Il les retrouve dans tout le travail qu’il fait sur les conflits d’intérêt.
Sur presque tous ces terrains, existent des interrogations lourdes et récurrentes. Comment choisir les experts ? Dans quelle mesure les décideurs doivent-ils se sentir liés par les expertises ? Quelle transparence et quel contrôle de la société civile pour qu’elle ait confiance dans les experts ? Dans quelle mesure et comment l’expertise peut-elle aider à combattre le complotisme et les fake news ? Etc…
C’est sur cet ensemble d’interrogations que Chemins Publics a souhaité recueillir les réflexions de personnes qui ont eu à se les poser dans leur activité professionnelle ou/et qui se sont exprimées à leur sujet dans le débat public.
Parmi les questions sur lesquelles nous aimerions recueillir leurs éclairages (mais que nous ne mentionnons qu’à titre d’exemples, d’autres pistes étant tout à fait bienvenues), figurent les suivantes.
Une est de savoir si, pour nos interlocuteurs, leur droit public national leur semble, de manière générale, établir un équilibre correct entre l’expertise scientifique et technologique et les nécessaires appréciations contextuelles auxquelles doivent se livrer les décideurs publics. Et si ce n’est pas le cas, où ils situent les principales difficultés ?
Une autre est de savoir comment ils pensent que l’on peut garantir la qualité de l’expertise scientifique et technologique dont disposent les décideurs publics. Comment recruter les experts ? Comment gérer au mieux la difficile question des conflits d’intérêt ?
Par ailleurs, certains estiment que, dans la crise sanitaire actuelle, les décideurs publics ont du mal à se positionner face à l’expertise scientifique, qu’ils sont parfois à la remorque, pour ensuite refuser de suivre les avis d’experts sans qu’on sache nécessairement pourquoi, qu’ils jouent parfois d’une expertise contre une autre, etc… Nous aimerions connaitre le sentiment de nos interlocuteurs sur ce point.
Que penser de la conviction, parfois émise, selon laquelle l’expertise ne pourrait être mieux intégrée à la décision publique que si une méthode de gouvernement plus adaptée à sa prise en compte était mise en place, avec une structuration de l’élaboration des décisions du type de celle qu’utilise la Commission Européenne (livre vert, livre blanc, qui l’un et l’autre intègrent les retours de la société civile et de l’expertise, les deux étant liés) ?
On peut, sur un autre plan, sans doute s’interroger sur le statut de la recherche dans les ministères et probablement souhaiter que leurs départements de recherche soient indépendants. Que faut-il penser de l’idée d’autorités administratives indépendantes de recherche ?
Certains iront même jusqu’à plaider que le passage par les canaux normatifs traditionnels, spécialement celui de la loi, n’est pas la voie la plus adéquate pour garantir la prise en compte des résultats de l’expertise scientifique : ce que démontrerait l’abondance du recours aux délégations du pouvoir législatif du type ordonnances, comme une sorte d’effet en retour de cette difficulté. Et que cette prise en compte ne peut être pleinement assurée qu’au sein d’autorités indépendantes. Cette analyse mérite sans doute aussi le débat.
Un autre sujet de réflexion est le fait que, dans la société civile, de multiples manifestations de méfiance à l’égard de l’expertise publique se font jour. On doit se demander comment il est possible d’y remédier, sans laisser ignorer qu’il n’y a pas de « vérité scientifique absolue» et que la connaissance scientifique se produit dans le débat. Quelles garanties donner aux citoyens sur la fiabilité de l’expertise ?
Une autre question se rencontre. Les décisions publiques fondées sur des avis d’experts peuvent être contestées devant des juges (constitutionnel, administratifs). On peut se demander quelle attitude doivent adopter ces juges dans leur contrôle, entre la pure déférence devant l’autorité de la science et le contrôle des appréciations des experts, le cas échéant via le recours à d’autres experts. Il serait intéressant de s’interroger notamment sur les positions qu’ils ont prises à cet égard dans le contexte actuel de la crise sanitaire.
Pour prendre le problème précédent autrement, il faut se demander si l’on peut compter sur les juges pour faire respecter les résultats de l’expertise scientifique. Si l’on peut, notamment, leur reconnaitre le pouvoir de sanctionner l’ignorance par l’administration des résultats de l’expertise scientifique, y compris lorsque ces résultats ne sont pas explicitement invoqués par les plaideurs.
Il serait également intéressant de reprendre toutes les questions précédentes et de les rapporter au problème du changement climatique : les décisions prises, non prises, à prendre, en relation avec l’expertise scientifique produite ici et là, par le GIEC, etc…Comment, au regard de cet immense problème, les pouvoirs et les décisions des responsables publics, des juges, des citoyens, s’articulent-ils avec l’expertise scientifique ?