Phototgraphie du Parlement européen

Au-delà du ton polémique, cet ouvrage écrit par un député souligne - de façon inédite - l’importance que le législateur contemporain reconnait aux entreprises et au droit dans le débat relatif à la souveraineté. A partir de multiples exemples empruntés à l’actualité économique de ces dernières années et finement étudiés à l’occasion des travaux conduits dans des commissions d’enquête parlementaire, cet ouvrage illustre ainsi le passage du concept de souveraineté politique à ceux de souveraineté économique ou de souveraineté juridique confiant ainsi au droit public des affaires une mission d’ordre régalien.

Ce n’est pas la thèse explicite du livre qui sera ici discutée : L’auteur, député de droite, considère en effet que l’actuel président de la République a contribué à liquider l’industrie française. Il ne nous appartient donc pas d’entrer dans cette polémique qui n’est pas étrangère à des contraintes éditoriales et à un calendrier électoral.

Nous considérons que c’est la thèse implicite du livre qui en fait sa saveur. Cet ouvrage fait ainsi l’objet d’une recension dans le blog Chemins Publics parce que l’auteur, en tant qu’homme politique, explique que les entreprises – dans le secteur industriel en particulier - sont l’un des principaux atouts de la souveraineté nationale (1) et qu’il expose, en tant que législateur, sa conviction selon laquelle le droit est le principal outil permettant de garantir la souveraineté (2). Bon connaisseur des règlementations économiques, il illustre son propos avec de nombreux mécanismes juridiques de droit public des affaires (3).

1. Les entreprises et l’industrie au cœur du débat sur la souveraineté

La question de la souveraineté est au centre du livre comme il l’est au cœur de la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2022. La souveraineté est d’abord économique nous dit l’auteur. Cette thèse est partagée aujourd’hui depuis que la crise sanitaire a permis de prendre conscience de la perte de souveraineté lié à la dépendance à l’égard d’entreprises étrangères en particulier pour l’approvisionnement de produits essentiels.

Or, avant 2019, il était difficile de faire entendre ce son de cloche ; la logique dominante était en effet que la liberté résultant du libre-échange permettait au mieux de satisfaire les besoins de chaque pays, y compris pour les produits les plus stratégiques [1].

On ne peut dès lors être surpris que notre droit n’ait pas été conçu dans un objectif de sauvegarde de la souveraineté économique et qu’il l’ait même été dans une perspective radicalement opposée, à savoir l’ouverture des marchés. Les critiques de l’auteur sont donc dures à l’encontre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et l’Union européenne qui aurait été son cheval de Troie (p.118). Il est vrai que l’Union a sans doute été le meilleur élève de l’OMC (p.123) et que le libre échange n’est pas étranger au vertigineux creusement des inégalités sociales (p. 14). L’auteur cite à ce propos les statistiques des plaintes qui montrent que l’Europe n’a jamais adopté une vision conflictuelle des rapports commerciaux en particulier par rapport aux Etats-Unis, à l’Inde ou à l’Argentine qui ont plus systématiquement utilisé les armes contentieuses pour défendre leurs producteurs (p.132).

L’auteur dénonce avec courage le mythe de l’attractivité qui explique sans doute cette prudence européenne et qui a incité les gouvernements à s’autocensurer quant aux contrôles règlementaires qu’ils auraient pu légitimement réaliser en particulier sur les actifs stratégiques (p.16, p.87, p. 97). Or l’arrivée massive de capitaux dans un pays n’est pas nécessairement une bonne chose si la population n’en tire pas profit et elle peut même déboucher sur une confiscation de biens pourtant essentiels à la communauté nationale. Il en va de même pour l’installation d’entreprises étrangères dans un pays, le développement de leurs services ou l’importation de certains biens. Les records d’investissements directs étrangers (IDE) que bat régulièrement la France sont « davantage le baromètre de la liquidation de l’économie française que de son attractivité ! » (p.105). Le propos est exagéré mais se rapproche sans doute plus de la réalité que les louanges régulièrement entendues sur l’attractivité du pays.

2. Le droit public des affaires, principal instrument de défense de la souveraineté

L’ouvrage éclaire sur la place du droit dans la défense de la souveraineté. Longtemps, le concept de souveraineté a été assimilé à la défense nationale puis à l’indépendance énergétique, bref, dans les deux cas, au nucléaire. La détention du feu et des centrales nucléaires était le gage ultime de l’indépendance nationale. Le terrorisme, l’économie numérique et le COVID 19 ont radicalement changé la donne, le nucléaire étant aussi peu efficace que la ligne Maginot contre eux.

Par ailleurs, le droit public économique après avoir longtemps été un droit des interventions macroéconomiques de l’Etat, s’était mué dans les années 90 en droit public des affaires en réponse à la croissance du pouvoir des entreprises et à l’affaiblissement des Etats.

Or, si la crise sanitaire a mis en avant des faiblesses structurelles liées à la dépendance vis-à-vis des entreprises étrangères, il n’est toutefois plus question de renationaliser les entreprises stratégiques. L’Etat n’en a ni les moyens financiers, ni le désir politique d’autant que le droit permet de parvenir à ces fins. L’auteur utilise une formule claire pour exprimer cette idée : « Pour assurer le contrôle de son outil industriel, l’Etat peut aussi se doter d’outils de contrôle « non-capitalistiques ». La carte du droit à défaut de celle de l’argent » (p.113). Avec son jargon, l’Agence des participations de l’Etat (APE) parle, dans ses lignes directrices, de maximisation de l’impact de l’euro public investit. Bref, il s’agit de savoir comment donner plus de droits à l’Etat lorsque celui-ci est actionnaire à travers des instruments tels que les Golden Shares ou actions de préférence ou les droits de vote double.

Le terme de souveraineté juridique est également utilisé par l’auteur le plus souvent pour dénoncer le rôle que se sont arrogées la Cour de justice et la Cour européenne des Droits de l’Homme (p.53). Qu’il soit suivi ou pas sur ce terrain, sa démonstration laisse entendre que les sujets de la primauté et de l’identité constitutionnelle resteront posés et que le statut quo semble aujourd’hui impossible.

Le terme souveraineté juridique rappelle également la force de l’Etat face aux puissances des entreprises. Il permet au droit public économique d’entrer dans une nouvelle phase. Alors qu’il avait tendance, depuis les années 90, à remettre en cause son unilatéralisme, à entrer dans des logiques plus régulatoires et contractuelles, on constate aujourd’hui un affermissement du régalien, de l’unilatéral, du règlementaire et des sanctions. En ce même sens, le droit public des affaires dont le modus operandi était longtemps l’utilisation du droit européen pour assouplir les contraintes nationales, devient au contraire aujourd’hui un droit du régalien qui tend à s’opposer au droit européen.

3. Les exemples de mécanismes juridiques au service de la souveraineté

Le droit des investissements étrangers qui est le fil d’Ariane de l’ouvrage, en est le meilleur exemple. L’auteur analyse les nombreuses opérations industrielles majeures de ces dernières années dans lesquelles ce droit – ancien dans son énoncé mais totalement nouveau dans son contenu – a joué un rôle déterminant. Il signale également la réorientation à 360 degrés de la Commission européenne qui après l’avoir combattu en est devenue la promotrice. Il attribue toutefois plus ce changement à une pression américaine inquiète de voir se développer aussi rapidement en Europe des investissements chinois dans des secteurs stratégiques qu’à une réelle prise de conscience européenne. Il analyse également l’utilisation puissante que font les Etats-Unis de ce droit (p.112).

Le droit des entreprises publiques et les raisons des médiocres performances de la gestion de ces entreprises sont analysés avec réalisme en particulier via le rôle des cabinets ministériels qui vide le contenu des missions des conseils d’administration (p.81, p.104). La question des conflits d’intérêts entre le secteur public et le secteur privé est sans cesse soulevée comme un facteur de mauvaise performance mais également comme une déviance et un moyen de capture de l’intérêt général au profit de certains. L’auteur a d’ailleurs reçu, en 2020, le Prix Ethique de l’association Anticor pour récompenser ses multiples actions en faveur de l’éthique publique. Le livre n’est pas un brulot d’anecdotes mais il présente une analyse avec un certain recul (p.100 et s.). Les commissions et rapports parlementaires auxquels l’auteur a pris part ces dernières offrent quant à eux leur part de surprises et de révélations sur les relations entre l’Etat et les entreprises.

A notre sens, l’auteur ne vise pas toujours parfaitement juste par exemple lorsqu’il dénonce les règlementations complexes bridant les entreprises, en particulier les petites et les moyennes. Par exemple, le temps que prend la délivrance des autorisations nécessaires pour construire une sortie d’autoroute n’a pas freiné la construction des autoroutes sur la totalité du territoire français ; en outre, ces constructions ont sans doute plus profité aux grandes entreprises qu’aux petites comme le montre le récurent débat sur la rente des concessions autoroutières. De même, est-on certain que le temps de délivrance des autorisations ICPE soit aujourd’hui un combat très populaire à défaut d’être nécessaire ? Enfin, peut-on raisonnablement critiquer les entreprises qui s’engagent dans des démarches de Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) alors même que leurs actions sont déterminantes en particulier pour la transition énergétique [2] ?

L’auteur montre au contraire avec justesse les limites et la loi relative au contrôle du lobbying par la Haute Autorité sur la Transparence de la Vie Publique (HATVP). Il cite un banquier qui n’est pas déclaré lobbyiste sur le registre national alors même qu’il parle fréquemment aux pouvoirs publics simplement parce qu’il le fait en réponse à leurs demandes (p.70). La Loi Sapin 2 ne retient en effet comme action devant être déclarée sur le registre des représentants d’intérêt, les hypothèses dans lesquelles l’initiative de la rencontre entre l’acteur public et l’acteur privé se fait à l’initiative du second et non lorsque le premier le sollicite. L’auteur dans son livre et ailleurs a ainsi fait le lien entre le pantouflage, les conflits d’intérêt, le lobbying et la politique industrielle de la France. On y rencontre rarement des situations illégales à proprement parler mais plus fréquemment des cas dans lesquels la définition de l’intérêt général est plus influencé par des intérêts individuels que par la recherche du bien commun (p.62).

Pour conclure, alors que la quasi-totalité des candidats à l’élection présidentielle proposent des réformes visant à retrouver une forme de souveraineté économique et juridique (par la remise en cause ou la limitation du principe de primauté du droit de l’Union européenne), on aurait pu espérer mieux comprendre pourquoi les gouvernements successifs n’ont pas été en mesure de conduire une politique européenne prenant mieux en compte cette nécessité de souveraineté [3].

La question n’est pas facile mais elle doit trouver des débuts de réponses tant dans la sociologie de la fonction publique en charge de ces questions que dans leur complexité technique.

Il est donc d’autant plus remarquable de constater qu’un député vigilant connait ces sujets et qu’il prend la plume pour partager son savoir et les convictions qu’il s’est formées en se confrontant à la réalité.

[1]Et il n’est pas exagéré d’écrire cela car, avant les réformes initiées en 2014, le droit des investissements étrangers ne visait quasiment que la défense nationale.

[2]On ne peut par ailleurs pas limiter la RSE a la recherche d’avantages fiscaux d’autant que cet aspect fiscal est marginal dans les politiques RSE.

[3] Dans un registre propre, il avait été dénoncé le fait que les gouvernements français successifs avaient soutenu des politiques de libéralisation des services publics à Bruxelles sans en assumer les conséquences pratique sur le territoire (M. Lombard, L’Etat schizo, J.C. Lattes, 2007). On peut ne pas nécessairement adhérer à cette thèse (en particulier parce qu’elle est implicitement critique vis-à-vis de la libéralisation des services publics), tout en retenant le manque de transparence et de lisibilité de l’action des gouvernements vis-à-vis de la politique européenne (au-delà des grandes déclarations de principe qui les engagent peu).

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