Le droit d’accès des citoyens aux documents administratifs est consacré dans la Constitution belge depuis 1993. Cette consécration constitutionnelle s’inscrit dans le fil d’une série de réformes de l’époque visant à améliorer la transparence administrative en Belgique. Les modalités d’exercice du droit d’accès et les exceptions à ce droit d’accès sont fixées par des législations différentes selon les niveaux de pouvoir compétents en Belgique, ce qui mène à un régime juridique fragmenté. Ce régime juridique applicable au droit d’accès aux documents administratifs présente par ailleurs des faiblesses significatives, qui pourraient mener à des réformes de ce droit dans les prochaines années.
Le régime juridique belge applicable à l’accès des citoyens aux documents administratifs trouve sa source dans des réformes intervenues dans les années 1990 en vue d’une amélioration de la transparence administrative en Belgique. Ces réformes interviennent dans un contexte marqué, jusque-là, par une tradition de secret administratif. La Constitution belge, notamment, est modifiée en 1993, pour consacrer le droit de chacun « de consulter chaque document administratif et de s'en faire remettre copie », sauf dans les cas et conditions fixés par le législateur (article 32 de la Constitution). Par cette révision constitutionnelle, le droit d’accès aux documents administratifs est érigé en véritable droit fondamental en Belgique.
Un régime juridique fragmenté mais construit autour de principes communs
La mise en œuvre concrète du droit d’accès aux documents administratifs prévu par l’article 32 de la Constitution belge suppose l’intervention du législateur ou, plutôt, des différents législateurs que compte la Belgique fédérale, ne serait-ce que pour prévoir les modalités d’exercice de ce droit et les exceptions et les limites qu’il admet. L’utilisation du pluriel pour le terme « législateurs » se justifie par le fait que l’article 32 confie à chaque niveau de pouvoir existant en Belgique – l’Autorité fédérale, les Régions et les Communautés – la responsabilité de définir le régime juridique applicable à l’accès aux documents administratifs de ses services ou des services pour lesquels il est compétent. Il en résulte que le droit applicable à la matière est décliné de manière un peu différente selon les administrations concernées : des législations distinctes sur l’accès aux documents existent par exemple au sein de l’Autorité fédérale, en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie. Aux règles applicables de manière transversale à ces différents niveaux de pouvoir s’ajoutent, par ailleurs, des règles sectorielles spécifiques notamment applicables à l’accès à l’information environnementale. Ces règles ne sont pas davantage évoquées ici, mais elles participent de la fragmentation du cadre juridique applicable à l’accès aux documents administratifs en Belgique.
Les législations adoptées aux différents niveaux de la Belgique fédérale pour réglementer l’accès aux documents administratifs présentent de substantiels points communs. En synthèse, pour reprendre les termes de Xavier Miny, les normes juridiques concernées, « d’une part, imposent à l’administration de mettre à disposition du grand public certaines informations et documents et, d’autre part, organisent un droit d’accès en fixant des hypothèses, somme toute similaires, dans lesquelles un intérêt spécifique peut ou doit, partiellement ou complètement, primer sur la transparence de principe »[1].
Avant d’évoquer plus avant ces exceptions, il faut encore mentionner que le droit d’accès aux documents administratifs doit, eu égard à l’article 32 de la Constitution, être interprété largement en Belgique et les exceptions à ce droit doivent être lues de façon restrictive. En outre, même si une exception au droit d’accès s’applique, une communication partielle du document demandé doit être accordée dans toute la mesure du possible. Nul intérêt n’est par ailleurs, en règle, requis pour que le droit d’accès puisse être exercé, sauf, par exemple, pour ce qui concerne les documents à caractère personnel. Le droit d’accès aux documents administratifs, en revanche, ne porte que sur des documents administratifs existants, et n’oblige pas l’administration à générer de nouveaux documents pour répondre à une demande du citoyen ou à le renseigner sur un sujet donné.
Les exceptions au droit d’accès aux documents administratifs, pour leur part, sont tantôt obligatoires, tantôt facultatives pour l’autorité publique ; elles sont aussi tantôt absolues, tantôt subordonnées à une mise en balance des intérêts en cause. Selon la législation fédérale, par exemple, une demande de consultation, d'explication ou de communication sous forme de copie d'un document administratif doit être rejetée si l’autorité constate que l'intérêt de la publicité ne l'emporte pas, à titre d’illustration, sur la sécurité de la population ou sur la protection des relations internationales fédérales de la Belgique. Par contraste, si la publication porte, par exemple, atteinte à une obligation de secret instaurée par la loi, alors la demande doit en toute hypothèse être rejetée, sans mise en balance des intérêts. Dans une troisième catégorie de cas, l’autorité publique peut mais ne doit pas rejeter une demande, par exemple celle qui concerne un « document administratif dont la divulgation peut être source de méprise, le document étant inachevé ou incomplet ». Ici, le refus est donc facultatif.
Des commissions d’accès aux documents administratifs ont été créées aux différents étages de la Belgique fédérale, pour assurer l’effectivité du droit d’accès aux documents administratifs. Ces commissions peuvent être saisies par les citoyens qui rencontreraient des difficultés pour accéder à un document administratif, indépendamment de la possibilité pour ces citoyens de saisir ensuite le Conseil d’État d’un recours en annulation contre un refus de communication, voire les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire au contentieux des droits subjectifs. Ces commissions connaissant chaque année de dizaines voire de centaines de recours.
Si, donc, le droit d’accès aux documents administratifs est globalement organisé de manière similaire par les différentes entités qui composent la fédération belge, des différences existent néanmoins aussi. On en donne deux exemples.
D’une part, et c’est le premier exemple, le champ d’application du droit d’accès peut varier selon les niveaux de pouvoir concernés. Par exemple, la réglementation flamande s’applique à certains documents du Parlement flamand ou des juridictions administratives flamandes, tandis que le champ d’application de la législation fédérale et de celle applicable à Bruxelles est limité aux documents détenus par des autorités administratives, ce qui inclut tant les autorités publiques que certaines personnes privées en charge d’une activité d’intérêt général mais, à première vue du moins, pas le législateur ou le pouvoir judiciaire. En pratique, néanmoins, cet écart est peut-être plus apparent que réel, notamment parce que la Commission fédérale d’accès aux documents administratifs a pu admettre que la Chambre des représentants du Parlement fédéral belge puisse être qualifiée d’autorité administrative au sens de la loi relative à la publicité de l’administration pour certaines de ces décisions.
D’autre part, et c’est le deuxième exemple de différence entre les régimes juridiques, les pouvoirs et les conditions de saisine des différentes commissions d’accès aux documents administratifs diffèrent aussi selon les entités concernées. En particulier, la commission d’accès au document administratif instituée au niveau fédéral n’a qu’une compétence d’avis, tandis que les instances régionales se sont, pour leur part, vu reconnaître un véritable pouvoir de décision. Elles sont ainsi devenues de véritables autorités administratives, et non plus de simples instances consultatives.
Un accès aux documents administratifs réel mais largement perfectible
Le droit d’accès aux documents administratifs est mis en œuvre en Belgique de manière routinière par les citoyens et les entreprises, leurs avocats, par les organisations de la société civile, par le monde académique et par les médias, ainsi que par des parlementaires dans le cadre de leur mission de contrôle de l’exécutif. En pratique, les demandes de consultation de documents administratifs semblent être acceptées par les pouvoirs publics qui les reçoivent dans la majorité des cas[2]. Les documents administratifs demandés concernent des domaines très variés. Les documents sollicités peuvent par exemple concerner des marchés publics conclus par les pouvoirs publics belges, avoir trait aux relations extérieures de la Belgique, ou être en lien avec le statut des fonctionnaires de l’État. Les 208 avis rendus en 2023 par la Commission fédérale d’accès aux documents administratifs donnent une idée partielle des documents pour lesquelles des demandes de communication de documents administratifs sont introduites en Belgique. L’exercice du droit d’accès aux documents administratifs peut en outre aboutir à des résultats significatifs : c’est par exemple par suite d’avis de la Commission fédérale d’accès aux documents administratifs que les travaux de comités d’experts consultés par le Gouvernement fédéral pour élaborer ses mesures sanitaires lors de la crise du Covid-19 ont finalement été rendus publics par ce dernier[3].
Nonobstant les avancées réelles intervenues depuis les années 1990 sur la question de la transparence administrative et de l’accès aux documents administratifs en Belgique, plusieurs limites importantes à ce droit continuent d’exister. Celles-ci tiennent tant au régime juridique de ce droit d’accès qu’à la manière dont ce régime est mis en œuvre.
Sur le premier plan, celui du régime juridique, on peut par exemple relever que, dans un classement établi sur la base d’une analyse des textes applicables en matière d’accès aux documents administratifs dans différents États de la planète, le Global Right to Information Rating, la Belgique occupe une peu enviable 122ème place sur 139 États inclus dans le classement. L’analyse, qui date de 2011 et se fonde sur la législation applicable au niveau fédéral, indique que « Like many Western European states, Belgium has a relatively outdated right to information law. The law lacks key components of a strong RTI law, including an adequate system of independent administrative appeals, sanctions for RTI-related misconduct, protections for good faith disclosures and any promotional measures. Other crucial elements are also absent, such as a requirement to provide notice upon receipt of a request, a harm test for exceptions and a provision stating that the RTI law overrides provisions in other laws ».
Sur le deuxième plan, celui de la mise en œuvre du droit, l’expérience montre que l’inertie administrative ou l’invocation illégale par l’administration d’exceptions au droit d’accès pour refuser une demande de communication de documents restent des problèmes récurrents, de nature à amoindrir significativement l’exercice de ce droit[4]. Les contours du droit d’accès peuvent par ailleurs aussi être flous. Ainsi, dans un rapport d’évaluation consacré à la Belgique, le Groupe des États contre la Corruption (GRECO) du Conseil de l’Europe souligne les incertitudes autour de l’application des règles en matière de publicité de l’administration aux collaborateurs directs des ministres fédéraux[5]. Toujours au rayon du manque d’effectivité, parfois, du régime juridique applicable, on peut encore mettre en évidence quelques cas marquants dans lesquels les pouvoirs publics belges ont décidé d’ignorer délibérément et, a priori, sans raison juridique valable des avis rendus par la Commission fédérale d’accès aux documents administratifs concluant à l’obligation de communication de documents : par exemple, le Ministre fédéral de la santé publique a récemment refusé de transmettre aux journalistes lui ayant adressé cette demande une copie des courriels qu’il avait échangé avec plusieurs experts dans le cadre de la gestion de la pandémie de Covid-19, au motif qu’une telle transmission supposait un effort administratif trop important pour être mise en œuvre et ce, en dépit d’un avis de la Commission d’accès aux documents administratifs concluant à l’obligation de transmission[6]. De telles pratiques dans des dossiers symboliques amenuisent l’effectivité du droit d’accès et son utilisation comme outil de contrôle des pouvoirs publics.
Conclusion : vers une réforme du droit d’accès aux documents administratifs en Belgique ?
Pour résoudre certaines de ces difficultés, des réformes du droit d’accès aux documents administratifs tel qu’il est applicable en Belgique sont en cours de discussion, spécialement au sein du Parlement fédéral. Parmi les propositions actuellement sur la table, figurent celle de réformer le statut de la Commission fédérale d’accès aux documents administratifs, pour lui reconnaître un véritable pouvoir de décision, une clarification du champ d’application de la loi réglant le droit d’accès ou encore un projet visant à donner assentiment à la Convention du Conseil de l’Europe sur l’accès aux documents publics, faite à Tromsø le 18 juin 2009. À ce stade, néanmoins, ces réformes, sans être abandonnées, n’ont pas encore abouti et le Gouvernement fédéral ne semble pas désireux de renforcer significativement l’effectivité du droit d’accès aux documents administratifs en ce qui concerne l’Autorité fédérale, malgré les demandes de l’opposition parlementaire. L’avenir dira ce qu’il en adviendra finalement.
[1] X. Miny, « Apport des commissions d’accès aux documents administratifs : cadre général et actualité », in A. Pirson (dir.), Actualités en matière de recours administratifs organisés, Bruxelles, Larcier, 2024, p. 32.
[2] S. Keunen et Van Garsse, « Access to Information in Belgium », in D. C. Dragos, A. T. Marseille, P. Kovač (dir.), The Laws of Transparency in Action : A European Perspective, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2018, pp. 124 à 126 (graphiques).
[3] E. Slautsky et al., Belgium : Legal Response to Covid-19, The Oxford Compendium of National Legal Responses to Covid-19, Oxford, Oxford University Press, 2020, §51 (disponible sur https://oxcon.ouplaw.com/display/10.1093/law-occ19/e1.013.1/law-occ19-e1).
[4] X. Miny, « Apport des commissions d’accès aux documents administratifs : cadre général et actualité », in A. Pirson (dir.), Actualités en matière de recours administratifs organisés, Bruxelles, Larcier, 2024, p. 55.
[5] GRECO, Rapport d’évaluation : Belgique, Cinquième cycle d’évaluation, 6 décembre 2019, pp. 15 et 16 (disponible sur : https://justice.belgium.be/fr/themes_et_dossiers/securite_et_criminalite/corruption/sur_le_plan_international/greco#B).
[6] V. Droeven, « Vandenbroucke wil coronamails niet vrijgeven (en niemand kan hem verplichten », De Standaard, 7 juillet 2023.