Photographie d'un sentier à Douarnenez

L’ouvrage Habiter une ville touristique interpelle par sa méthodologie. D’abord, tout en empruntant aux méthodes des sciences sociales (à travers différents entretiens exploratoires et la réalisation d’une recherche-action), ce texte entend proposer une réflexion sur le droit à la ville et son évolution, en dehors du cadre purement académique. Ensuite, né de la volonté d’un collectif d’individus d’analyser l’évolution de l’aménagement urbain, l’ouvrage interroge quant à son objet d’étude. Laissant de côté les grandes métropoles frappées de plein fouet par le surtourisme (Barcelone, Lisbonne ou Marseille, mentionnées dans la préface), il entend révéler les effets de la désindustrialisation sur une commune française du littoral.

Il est désormais acquis que le tourisme joue un rôle particulièrement perturbateur pour le fonctionnement des villes et leurs transformations. Les auteurs, à partir de l’exemple de la ville de Douarnenez, commune de 14 000 habitants faisant partie du département du Finistère en région Bretagne, entendent en expliquer les raisons.

En ayant recours à une production symbolique, des discours et la mobilisation des identités, la mise en tourisme d’un lieu, produit d’une volonté politique, contribuerait à la marchandisation du territoire. Cette « mise en patrimoine » serait ainsi réalisée en mobilisant le capital symbolique particulier des villes. Il en résulterait ainsi une homogénéisation du territoire, ainsi que sa mise en concurrence sur le marché des destinations de vacances, le tout en valorisant « les singularités locales, l’authenticité, le caractère, l’identité, et l’histoire » (p. 55).

L’approche retenue par les auteurs tend ainsi à montrer comment le tourisme a été appréhendé par les acteurs publics et privés comme une réponse à la désindustrialisation. Ici, la marchandisation des pratiques culturelles permettrait de montrer en quoi le tourisme ne serait qu’une économie de crise, permettant de prendre la suite d’une activité industrielle en désuétude (P. 94). La mise en tourisme d’un lieu aurait dès lors un impact sur le devenir urbain et contribuerait à réorienter les politiques de la ville, vers l’enrichissement d’une « expérience touristique du territoire » (p. 59).

Il résulte de ce mouvement un apparent paradoxe : dans une ville dont la population stagne ou diminue, les espaces à vendre ou à louer gagnent en valeur (p. 30), permettant de faire le constant d’une ville qui se construit sans ses habitants, contraints d’abandonner leur ville[1].

L’influence des plateformes d’intermédiation est évidemment relevée dans l’ouvrage, celles-ci entraînant l’exclusion des habitants, loin des ports et centres historiques. Les auteurs ne manquent d’ailleurs pas de relever le cynisme lié à ce déplacement de l’offre d’hébergement, qui « parce qu’il fait croire aux touristes qu’ils vivent la vie des habitants, chasse en fait ces habitants des centres urbains littoraux » (p. 131).

Plus percutant encore, ce livre pointe le déséquilibre créé par le droit, entre grandes métropoles et petites communes. En effet, si différentes mesures ont été adoptées afin d’encadrer les pratiques liées au meublé touristique, celles-ci se sont généralement concentrées sur les plus grandes communes[2]. Alors que les grandes villes représentaient 22% des revenus des plateformes d’hébergement en 2019, elles n’en représentent plus que 15% en 2021 (p. 192). Les mesures adoptées, en lien avec le modèle économique prôné par ces plateformes et conforté par les changements d’habitude post-pandémie, ont contribué à déplacer le problème vers les villes de taille moyenne ainsi que vers les territoires ruraux ou littoraux. L’exemple de la ville de Saint-Malo est d’ailleurs avancé, celle-ci ayant obtenu en 2020, par dérogation préfectorale, le droit de limiter le nombre de locations de courte durée en meublés de tourisme.

Les solutions proposées dans l’ouvrage, empruntant à la rhétorique des communs, font écho à certains travaux en la matière[3].  Qu’il s’agisse des « Community Land Trusts »[4], évoqués dès la fin des années 1960 et permettant de dissocier le sol du bâti et de démarchandiser le foncier, ou encore des « Mietshäuser Syndikat », coopérative d’habitation à but non-lucratif que l’on retrouve en Allemagne ou en Suisse, de nouvelles formes d’accès au logement sont ainsi évoquées, mettant l’accent sur les enjeux collaboratifs.

D’un droit à la ville[5] à un droit de la ville[6], les mutations urbaines soulèvent des questions complexes et interrogent la pertinence des mesures à adopter : limitation des campagnes de marketing territorial via les réseaux sociaux ? encadrement des baux saisonniers dont l’usage a été démultiplié ? abaissement des seuils afin de soumettre à autorisation toutes les demandes de changement de destination des locaux destinés à l’habitation ? reclassement en zone tendue ? limitation de la multipropriété ?

L’ouvrage, présenté par ses auteurs comme empreint de la « pertinence [des] émotions », gagnerait à « entretenir l’artifice du point de vue neutre » de l’universitaire (p. 226). L’exercice réalisé n’en reste pas moins pertinent : il interroge la place du touriste au XXIème siècle et tend à questionner, à l’échelle d’une commune du littoral, l’idée d’un droit à habiter une ville dans laquelle ce sont bien souvent les intérêts privés qui façonnent l’espace (public).

[1] Les chiffres avancés dans l’ouvrage indique qu’en vingt ans, le nombre de logements vides a augmenté de 53% à Douarnenez, alors que le nombre de résidences secondaires a atteint les 42%.

[2] Voir notamment l’article L. 631-7 du Code de la construction et de l’habitation, qui soumet à autorisation les changements d’usage des locaux destinés à l’habitation pour les communes de plus de 200 000 habitants.

[3] Alberto Lucarelli, La démocratie des biens communs, L’Harmattan, mai 2024, 184 p.

[4] V. Le Rouzic, Community Land Trust, in M. Cornu, F. Orsi & J. Rochfeld (dir.), Dictionnaire des biens communs, PUF, 2e éd., 2021, p. 584.

[5] Henri Lefebvre, Le droit à la ville, Paris, Éditions Anthropos, 1968.

[6] Jean-Bernard Auby, Droit de la ville – Du fonctionnement juridique des villes au droit à la Ville, LexisNexis, 2016, 350 p.

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