La réglementation du domaine public maritime destiné à l'usage touristique-balnéaire (en un mot, la question des concessions de plages) constitue en Italie une véritable impasse réglementaire (1) et présente des caractéristiques si particulières que l'analyse comparative avec d'autres systèmes juridiques est complexe.
il n'existe pas d'autre système dans lequel il y a une présence aussi importante d'activités entrepreneuriales spécialisées et avec une telle zone bâtie sur le littoral.
En premier lieu, les concessions de plage sont un cas paradigmatique des difficultés liées à l'articulation territoriale des fonctions législatives et administratives entre les niveaux de gouvernement.
L’État est la collectivité territoriale propriétaire des biens de domaine public maritime (2), le principal régulateur en la matière et le seul bénéficiaire des redevances de concession, dont le mode de détermination est, bien entendu, fixé par la loi. Donc, la réglementation législative des redevances au cours des vingt dernières années a changé plusieurs fois, donnant lieu à des contentieux.
Les Régions sont compétentes en matière de planification territoriale, d’aménagement des paysages, d'énergie et de transports. Elles sont surtout compétentes en matière d'aménagement du littoral, c’est-à-dire pour définir les utilisations possibles des biens du domaine public maritime, mises en œuvre par les plans de gestion des plages adoptées au niveau municipal. Cet aménagement du littoral, encadré par une loi de 1993, présente un certain degré d’ouverture de la procédure, mais certains intérêts (notamment, les intérêts des entreprises) sont certainement mieux représentés et envisagés avec plus d’attention.
Enfin, les municipalités (i Comuni) mettent en œuvre au niveau local l'aménagement du littoral décidé par les Régions, gèrent les activités administratives liées aux concessions et sont chargées des fonctions de police domaniale et administrative. Cependant, elles ne perçoivent pas de redevances des concessions. En outre, la réglementation municipale (construction, commerce, etc.) peut engendrer des cadres réglementaires différents : en Italie, deux établissements de bains adjacents appartenant à deux municipalités ou, plus encore, situés dans deux municipalités à la frontière de deux Régions, peuvent être soumis à des régimes administratifs très différents.
Une autre question problématique, qui a été au centre du débat politique et institutionnel ces derniers mois (et qui sera davantage abordée dans la section 2), concerne la concurrence. Une procédure d'infraction était déjà intervenue en 2008 (3) pour critiquer les distorsions de concurrence provoquées par la législation italienne, en particulier le renouvellement automatique des concessions et le droit au maintien du concessionnaire sortant. Ces mesures ont été considérées comme susceptibles de restreindre abusivement l'accès au marché des services touristique-balnéaire dans un contexte réglementaire désormais dicté par la Directive relative aux services dans le marché intérieur (4).
Enfin, il convient de rappeler la question du federalismo demaniale, le premier des décrets législatifs (5) adoptés en application de la loi de délégation concernant le fédéralisme fiscal (6). Ce décret législatif a généré une attente de nouveauté en ce qui concerne les concessions de plage même si, en réalité, il avait seulement prévu la possibilité de transférer des biens du domaine public, de l’État aux Régions (7), question qui, jusqu'à présent, semblait être oubliée, entre le désintérêt des régions et la considération que le régime substantiel des biens n'en serait pas affecté (8).
Face à une situation déjà complexe, afin de répondre à la pression des intérêts organisés depuis 2009, il y a eu des prorogations nationales de concessions existantes et des lois régionales introduisant de nouvelles restrictions à la concurrence.
De leur côté, le Conseil d'État et la Cour constitutionnelle (9) ont confirmé la nécessité d'interpréter le cadre réglementaire national à la lumière des principes établis par le droit européen de la concurrence et la Cour de justice a confirmé que les concessions du domaine maritime à l'usage touristique-balnéaire devaient être encadrées par la discipline des autorisations au sens de l'article 12 de la directive Bolkestein, en censurant le recours du législateur italien au renouvellement des extensions (10).
Beaucoup de turbulences ont caractérisé les dernières années. Pour les reconstruire, il sera utile de suivre une chronologie stricte des événements.
Dans le but de repousser des décisions impopulaires, avec la Loi de finances 2019 (11), une prolongation de 15 ans de la durée des concessions en vigueur a été envisagée. Cette mesure a soulevé plus d'un doute sur sa constitutionnalité ainsi que, en décembre 2020, une nouvelle mise en demeure dans le cadre d’une procédure d'infraction (12).
En mars 2021, vient d’entrer en fonction le gouvernement Draghi, l'Autorité de la concurrence (déjà intervenue sur la question dans le passé) a produit un Rapport afin de permettre au gouvernement de préparer le projet de Loi annuel sur le marché et la concurrence (13): en indiquant les réformes pro-concurrentielles, l'AGCM a évidemment fait référence à la « réforme des concessions du domaine maritime pour usage touristique et récréatif » (14).
En présence de litiges aux orientations contradictoires en la matière (15), en mai 2021, le président du Conseil d'État, par son décret n° 160, a renvoyé à son Assemblée plénière la décision. C'est ainsi qu'en novembre 2021, avec deux jugements jumeaux (16), le Conseil d'État a rappelé que les concessions de biens à l'usage touristique-balnéaire constituent des autorisations de services au sens de l'article 12 de la directive Bolkestein et, à ce titre, sont soumises à l'obligation d’appel d'offres pour le choix du concessionnaire.
Ces jugements sont intéressants à divers titres. Ils accordent principalement une grande attention à l'importance économique de la concession et aux effets économiques du régime administratif. Ensuite, ils stigmatisent le recours fréquent à la loi pour définir la durée de la concession, en observant que cette tendance législative risque de constituer une « novation substantielle de la source de régulation du rapport ». Enfin, le Conseil d'État - avec une sorte d’évaluation d’impact judiciaire - diffère les effets temporels de ses jugements au 31 décembre 2023, afin de laisser un délai raisonnable pour préparer l'ouverture à la concurrence du secteur.
Toujours en novembre 2021, après quelques semaines de travail infructueux avec les associations d’entreprises, le Gouvernement Draghi a présenté le projet de Loi annuel pour la concurrence et le marché, mais en a expurgé temporairement les concessions de biens à l'usage touristique-balnéaire.
En même temps, en décembre 2021, la Cour des comptes italienne est intervenue sur la « gestion des revenus des biens de l'État maritime » (17), avec le souci de remédier au dysfonctionnement du système de collecte des redevances et de gestion financière.
En février 2022, enfin, le Conseil des ministres a présenté solennellement l'amendement tant attendu concernant les concessions des plages. L'amendement reprend certains aspects du rapport de l'autorité antitrust susmentionné (l'abrogation des dispositions de la loi de finances 2019, pour se conformer à la procédure d'infraction) et de l'Assemblée plénière du Conseil d'État (statuant que les concessions existantes continuent de produire leurs effets jusqu'au 31 décembre 2023) ; et, enfin, il définit les principes directeurs de la délégation au gouvernement pour l'adoption d'un ou plusieurs décrets législatifs visant à réorganiser et à simplifier la réglementation de la matière.
À ce jour, la loi sur la concurrence a été approuvé dans sa formulation finale (18): l'article 4 fournit la délégation tant attendue au gouvernement, même si la situation politique (19) rend difficile de prévoir quand et comment la délégation sera exercée.
Ce qui vient d'être décrit est l'histoire la plus récente d'une question ancienne. Chaque année, ponctuellement, on célèbre en Italie un rituel de conflits sur la question des concessions de plage entre intérêts économiques organisés, institutions nationales et institutions européennes, sans que la régulation ne parvienne jamais à synthétiser les intérêts en conflit de manière stable et convaincante.
Une explication possible est qu'il y a une sorte de myopie de la part du régulateur, un excès de proximité avec les intérêts organisés lorsque le débat public devrait être configuré pour prendre en compte de nombreux points de vue. Le problème, en effet, n'est pas seulement celui des concessions de plages, mais celui, bien plus complexe, de la compatibilité entre les multiples utilisations possibles des côtes italiennes sur lesquelles il y a des agglomérations urbaines, des industries, de la production d'énergie, des zones protégées, des activités de pêche, des ports, des installations militaires, des zones archéologiques, des activités touristiques-balnéaires, etc.
De plus, en raison de problèmes liés au changement climatique, à la pollution, à l'instabilité hydrogéologique et aux phénomènes qui modifient le littoral, il serait important de gouverner avec une vision intégrée de l'aménagement des zones côtières, nécessaire pour concilier les objectifs de conservation et de protection avec ceux de valorisation économique. Pour ces motifs, certains choix publics devraient s'inscrire dans le contexte plus large de Gestion intégrée des zones côtières (GIZC), la stratégie européenne lancée en 2002 (20) qui appelle à l'intégration des objectifs environnementaux et socio-économiques, en promouvant une approche de gestion et d'utilisation durables des ressources dans les zones côtières et marines.
En bref, pour sortir de l'impasse réglementaire d'où nous sommes partis, il faudrait parvenir à un gouvernement du littoral dans son ensemble, grâce à une réforme organique, sur le modèle espagnol de la Ley de Costas (21), après un débat public médité, prenant en compte tous les usages possibles du littoral et tous les intérêts, dans une logique long terme.
Seule une vision systémique permettra de consolider les instruments juridiques nécessaires aussi à la tenue des appels d'offres, par exemple en privilégiant les offres techniques qui assurent mieux la protection du paysage et de l'environnement du littoral, qui utilisent de préférence des structures amovibles, qui offrent un meilleur degré d'accessibilité aux handicapés, etc.
Si l'on considère donc que l'Italie - avec près de 8 000 km de côtes - est le 14e pays du monde en termes d'extension côtière et le 72e en termes de superficie, il est facile de comprendre que passer des plages aux côtes sera plus que nécessaire. Il s'agira d'une véritable question stratégique de première importance pour les décennies à venir.
1. En general, M. De Benedetto (a cura di), Spiagge in cerca di regole, Bologna, il Mulino, 2011.
2. Art. 822, Code Civil italien.
3. Mise en demeure de procédure d'infraction n. 2010/2734 du 5 mai 2010
4. Directive du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dite « directive Services » ou « directive Bolkestein » (Directive 2006/123/CE).
5. Decreto legislative 28 maggio 2010, n. 85, Attribuzione a comuni, province, citta' metropolitane e regioni di un proprio patrimonio, in attuazione dell'articolo 19 della legge 5 maggio 2009, n. 42, in https://www.normattiva.it/uri-res/N2Ls?urn:nir:stato:decreto.legislativo:2010;85
6. Legge 5 maggio 2009, n. 42, Delega al Governo in materia di federalismo fiscale, in attuazione dell'articolo 119 della Costituzione, in https://www.normattiva.it/uri-res/N2Ls?urn:nir:stato:legge:2009;42
7. Art. 3, paragraphe 1, lett. a).
8. Art. 4.
9. Corte Costituzionale, sentenza 11 gennaio 2017, n. 40, in https://www.cortecostituzionale.it/actionSchedaPronuncia.do?anno=2017&numero=40
10. Cour de justice, arrêt de la Cour (cinquième chambre) 14 juillet 2016, «Renvoi préjudiciel — Marchés publics et liberté d’établissement — Article 49 TFUE — Directive 2006/123/CE — Article 12 — Concessions de biens du domaine maritime, lacustre et fuvial ayant un intérêt économique — Prorogation automatique — Absence de procédure d’appel d’offres».
11. Legge 30 dicembre 2018, n. 145, Bilancio di previsione dello Stato per l'anno finanziario 2019 e bilancio pluriennale per il triennio 2019-2021, commi 682-684, in https://context.reverso.net/traduzione/italiano-francese/comma
12. Procédure d'infraction 4 decembre 2020/4118, mise en demeure.
13. Conformément à l'article 47 de la legge 23 luglio 2009, n. 99, Disposizioni per lo sviluppo e l'internazionalizzazione delle imprese, nonché in materia di energia, in https://www.normattiva.it/uri-res/N2Ls?urn:nir:stato:legge:2009;99
14. Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato, AS1730 – Proposte di riforma concorrenziale ai fini della legge annuale per il mercato e la concorrenza anno 2021, in https://www.agcm.it/dotcmsCustom/getDominoAttach?urlStr=192.168.14.10:8080/C12563290035806C/0/914911A1FF8A4336C12586A1004C2060/$File/AS1730.pdf
15. Sur ce point, E. Chiti, False piste: il T.A.R. Lecce e le concessioni demaniali marittime, in “Giornale di diritto amministrativo”, n. 6/2021, p. 801.
16. Consiglio di Stato, Adunanza plenaria n. 17/2021, https://www.giustizia-amministrativa.it/portale/pages/istituzionale/visualizza; Consiglio di Stato, Adunanza plenaria n. 18/2021, https://www.giustizia-amministrativa.it/portale/pages/istituzionale/visualizza
17. Corte dei conti, Sezione centrale di controllo sulla gestione delle amministrazioni dello Stato, Gestione delle entrate derivanti dai beni demaniali marittimi, deliberazione 21 dicembre 2021, n. 20/2021/G, in https://www.corteconti.it/Download?id=66e13045-e3dc-4787-9bc3-a2f59e757143
18. Legge 5 agosto 2022, n. 118, Legge annuale per il mercato e la concorrenza 2021
19. Après une récente crise gouvernementale, le 25 septembre 2022 il y aura des élections générales en Italie.
20. Recommandation 2002/413/CE du Parlement européen et du Conseil relative à la mise en œuvre d'une stratégie de gestion intégrée des zones côtières en Europe, in https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:32002H0413.
21. Ley 22/1988, de 28 de julio, de costas, in https://www.boe.es/eli/es/l/1988/07/28/22/con